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Cameroun : apaiser les luttes liées à l’eau dans l’Extrême-Nord

Que se passe-t-il ?L’Extrême-Nord du Cameroun, la région la plus pauvre du pays, connaît des tensions communautaires récurrentes portant sur les réserves en eau. Bien que les autorités nationales et locales tentent d’enrayer le conflit entre les éleveurs Arabes Choa et les pêcheurs Mousgoum – qui a déplacé des dizaines de milliers de personnes – ce dernier menace de s’étendre à d’autres groupes ethniques. 

Pourquoi cela s’est-il produit ?L’Extrême-Nord est non seulement confronté à des violences armées, mais la région doit également faire face à des revendications importantes amplifiées par la mauvaise gouvernance et l’insécurité alimentaire grandissante. Les précipitations irrégulières dues au changement climatique ont intensifié les luttes entre les groupes ethniques pour l’accès à l’eau et aux terres. 

En quoi est-ce significatif ? Le Cameroun peut difficilement gérer un nouveau cycle de violences intercommunautaires dans l’Extrême-Nord, région isolée mais densément peuplée, située dans la ceinture du Sahel. Ses forces armées sont déjà débordées par leurs actions anti-insurrectionnelles dans d’autres régions du pays.

Comment agir ? Pour apaiser les tensions avant qu’elles ne s’enveniment, les autorités devraient augmenter le nombre de comités d’alerte précoce dans l’Extrême-Nord et renforcer la préparation aux chocs climatiques. Elles devraient également faire en sorte que la gestion de l’eau et des terres soit plus inclusive et veiller à ce que les habitants de la région aient accès à une justice efficace.


Le spectre des combats meurtriers entre Arabes Choa et Mousgoum plane sur l’Extrême-Nord du Cameroun, notamment du fait des rivalités pour l’accès aux ressources en eau et à la terre. Un différend portant sur l’accès aux eaux du fleuve Logone a déclenché une série de conflits ouverts en 2021, ravivant des années d’âpres rivalités politiques dans une région frappée par l’insurrection islamiste de Boko Haram, la sécheresse et les inondations. Le gouvernement a tenté d’apaiser les tensions entre les Arabes Choa et les Mousgoum mais ces tentatives ont eu un succès mitigé. 

Entre 2021 et 2023, une douzaine d’autres querelles liées à l’accès aux ressources ont temporairement déplacé quelque 15 000 personnes appartenant à d’autres groupes ethniques dans la région. La guerre contre les jihadistes et les combats dans les régions anglophones du Cameroun mettent déjà les forces gouvernementales à rude épreuve et Yaoundé aurait probablement du mal à endiguer une nouvelle vague de violence. Avec le soutien des bailleurs de fonds, les autorités devraient renforcer les mécanismes d’alerte précoce pour prévenir les conflits, anticiper les précipitations, et réformer les systèmes de gestion de l’eau et des terres afin d’en améliorer l’accès au public tout en garantissant une résolution plus équitable des litiges. Ces dernières devraient également intégrer des mesures de sécurité climatique dans le programme de reconstruction à grande échelle pour la région de l’Extrême-Nord.

Le conflit entre les Arabes Choa et les Mousgoum est ancien. De nombreux Mousgoum sont des pêcheurs et des agriculteurs, qui creusent souvent des bassins dans les plaines inondables du fleuve Logone pour piéger les poissons et utiliser l’eau pour irriguer leurs champs, alors que les Arabes Choa sont surtout propriétaires de bétail. Les vaches se retrouvent parfois piégées dans les canaux marécageux et peuvent se blesser ou même mourir. Les deux groupes considèrent que leurs moyens de subsistance sont en péril : les Mousgoum veulent continuer à creuser des bassins, tandis que les Arabes Choa veulent éradiquer cette pratique. Ce désaccord s’est transformé en une querelle ethnique plus large. Les Mousgoum et d’autres groupes sédentaires se plaignent que les autorités favorisent les Arabes Choa dans les litiges portant sur l’eau, les terres et les chefferies. 

Dans le même temps, les changements du rythme des précipitations nuisent aux terres de l’Extrême-Nord. Les périodes de sécheresse et les inondations répétées réduisent la fertilité des sols. Les agriculteurs voient ainsi leurs récoltes diminuer et les communautés ont du mal à trouver suffisamment d’eau potable. De nombreux habitants ne font aucune confiance au système judiciaire et de gouvernance en place, ce qui les conduit à tenter parfois de résoudre leurs différends par la violence. 

Le gouvernement camerounais s’est efforcé d’enrayer le conflit entre Arabes Choa et Mousgoum.

Le gouvernement camerounais s’est efforcé d’enrayer le conflit entre Arabes Choa et Mousgoum, en déployant des forces de sécurité pour éviter que d’autres communautés – Kotoko, Massa, Fulani, Kanuri et Sara – ne s’engouffrent dans les vagues d’affrontement. Le Cameroun a également collaboré avec le Tchad pour surveiller l’évolution de la situation le long du fleuve Logone, qui dessert les deux pays. Yaoundé a autorisé les organisations humanitaires à installer des camps pour les personnes déplacées à Maroua et à Bogo, dans le département du Logone-et-Chari. Le gouvernement s’est également efforcé d’enrayer les violences en arrêtant les fauteurs de troubles, en imposant des couvre-feux et en réunissant les élites politiques, religieuses et traditionnelles pour des pourparlers. 

Malgré ces efforts, le risque de violence intercommunautaire reste élevé dans la région. Les affrontements entre Arabes Choa et Mousgoum ont repris en novembre 2023, tandis que les tensions s’aggravent entre d’autres groupes dans les départements de Mayo-Sava, Mayo-Tsanaga, Mayo-Danay et Diamaré dans l’Extrême-Nord. Les insurrections jihadistes de Boko Haram et de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest pourraient également renforcer les tensions. Les autorités craignent que les populations locales n’utilisent les réseaux de trafiquants des jihadistes pour acheter des armes légères, ce qui ne ferait qu’aggraver la violence. Ces insurrections continuent également à empiéter sur les terres utilisées pour l’agriculture, la pêche et l’élevage, ce qui menace la sécurité de nombreuses zones. Des milliers de personnes déplacées sont désormais contraintes de rivaliser pour accéder aux mêmes ressources en eau et en pâturage dans le nord du Cameroun et l’Etat de Borno, au Nigéria. 

Pour trouver des solutions, les autorités devraient s’attaquer aux racines du conflit, en améliorant l’accès à l’eau et à la terre. Les tensions ethniques pèsent sur la région depuis longtemps mais la mauvaise gestion de l’eau et des terres, exacerbée par le stress climatique, n’a fait qu’aggraver la situation.

La priorité immédiate du Cameroun devrait être de renforcer les mécanismes d’alerte précoce, tels que les comités de veille créés après les affrontements de 2021, ainsi que de soutenir les prévisions météorologiques préparées par l’Observatoire national sur les changements climatiques. A moyen terme, les autorités locales et nationales devraient veiller à ce que leurs ambitieux plans de développement pour la région tiennent compte de l’environnement, du climat et des conflits. Elles devraient notamment mettre en place un système de gestion des points d’eau en coordination avec des représentants de tous les groupes ethniques, ainsi que des femmes et des jeunes. Elles devraient également s’efforcer de renforcer la confiance des citoyens dans le système judiciaire et créer un fonds destiné à indemniser les victimes de violences sur une base individuelle ou communautaire. 

L’Extrême-Nord est l’une des régions les plus peuplées et les moins développées du Cameroun, avec plus de trois millions d’habitants et un taux de pauvreté supérieur à 74 pour cent.[1] Malgré les difficultés auxquelles ses habitants sont confrontés, la région est stratégiquement cruciale pour le président Paul Biya en raison de l’importance de sa population en âge de voter et de son soutien indéfectible au parti au pouvoir, le Mouvement démocratique du peuple camerounais.[2]

Des groupes sédentaires, nomades et semi-nomades cohabitent dans le Grand Nord depuis des siècles, mais non sans frictions. Les relations intercommunautaires sont souvent tendues, certains différends remontant à plusieurs décennies.[3] Les liens ethniques avec les populations du Nigéria et du Tchad voisin tendent à favoriser un fort sentiment de loyauté communautaire au-delà des frontières nationales et font monter les enchères en cas d’embrasement local cette situation.[4] Des conflits ont éclaté entre les Arabes Choa et les Kotoko (souvent soutenus par les Mousgoum) dans les années 1970 et 1980, tandis qu’au début des années 1990, les deux groupes ont cherché à dominer le pouvoir politique pendant la transition du Cameroun vers une démocratie électorale multipartite.[5]

L’Extrême-Nord est situé dans le Sahel, où les températures augmentent une fois et demie plus vite que la moyenne mondiale, selon les Nations unies.[6] D’après les experts, l’Extrême-Nord, tout comme le reste du Sahel, est très vulnérable aux chocs climatiques.[7] Le climat du département du Logone-et-Chari, au nord de la région, est particulièrement rude. Le chef-lieu du département, Kousseri, est en moyenne la ville la plus chaude du Cameroun.[8] Pendant la saison sèche, qui dure généralement d’octobre à juin, les températures culminent à environ 40°C et l’évapotranspiration – la perte d’eau de la surface du sol et des plantes, un processus qui nuit à la productivité agricole – augmente.[9] Les températures élevées et les pluies irrégulières réduisent la quantité d’eau disponible pour les communautés de pêcheurs et les pâturages pour les éleveurs.[10]

En 2021, une grave sécheresse a rendu les conditions encore plus difficiles que d’habitude.[11] La saison des pluies dure généralement de trois à cinq mois, apportant des précipitations qui reconstituent les réserves hydriques dans le sol, mais aussi de plus en plus de pluies torrentielles qui provoquent des inondations dévastatrices. 


[1] L’Institut national de la statistique estime que le taux de pauvreté dans l’Extrême-Nord est presque le double de la moyenne nationale qui est de 37 pour cent. En 2014, 35 pour cent des 8 millions de pauvres au Cameroun vivaient dans l’Extrême-Nord. La pauvreté dans la région s’est progressivement aggravée, passant de 56,3 pour cent en 2001 à 65,9 pour cent en 2007 puis 74,3 pour cent en 2014. En 2019, la Banque mondiale estimait le taux de pauvreté dans l’Extrême-Nord à 77 pour cent. « Les régions septentrionales présentées comme les plus pauvres du Cameroun », Actu Cameroun, 6 août 2019.

[2] L’Extrême-Nord a longtemps compté le plus grand nombre d’électeurs inscrits dans le pays jusqu’à ce qu’il soit dépassé par la région du Centre en 2018. « Géo-analyse des résultats de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au Cameroun », Geomatic Strategy, janvier-février 2019. En 2018, Paul Biya s’est rendu à Maroua pour prononcer un discours public – sa seule apparition en personne pendant la campagne électorale de cette année-là. Lors des élections municipales de 2020, le parti au pouvoir a remporté les dix communes du département du Logone-et-Chari.

[3] Entre 1984 et 2014, par exemple, les Mafa du département du Mayo-Tsanaga, le long de la frontière nigériane, se sont affrontés à plusieurs reprises avec les Tupuri de la division Mayo-Danay, près du Tchad, pour le contrôle d’un marché.

[4] Entretiens de Crisis Group, personnel d’ONG, universitaires et journalistes, Maroua, août 2023. Voir également Robi Layio, « La solidarité ethnique à l’épreuve des conflits communautaires à Blangoua dans la région du lac Tchad », dans Mouadjamou Ahmadou, Bjørn Arntsen et Warayanssa Mawoune (eds.), Vivre au Nord-Cameroun : Enjeux, défis et stratégies (Québec, 2023), p. 49-71.

[5] Les Arabes Choa ont tenté de tirer parti de leur plus grand nombre pour contrôler les politiques des conseils locaux et de l’Assemblée nationale concernant le département du Logone-et-Chari. Les Kotoko ont accusé les Arabes Choa de distribuer des cartes d’électeurs à leur proches appartenant au même groupe ethnique au Nigéria et au Tchad pour gagner plus de voix. Entretiens de Crisis Group, conférencier de l’Université de Maroua, Maroua, août 2023.

[6] Xavier Bourgois, « Dwindling rains in northern Cameroon spark conflict and displacement », Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), novembre 2021.

[7] Les vagues de chaleur de 2021 et 2022 ont fait de ces années les plus chaudes jamais enregistrées au Cameroun. Entretiens de Crisis Group, responsables de l’Observatoire national sur les changements climatiques, Yaoundé, octobre 2023. 

[8] Entretiens de Crisis Group, spécialistes du climat, membres de la société civile et avocat spécialiste de l’environnement, Yaoundé, octobre 2023.

[9] Pendant l’évapotranspiration, la surface du sol perd de l’eau vers l’atmosphère par évaporation, tandis que les plantes et les cultures perdent de l’eau par transpiration. 

[10] Entretiens de Crisis Group, spécialistes du climat, membres de la société civile et avocat spécialiste de l’environnement, Yaoundé, octobre 2023.

[11] En 2021, les précipitations dans l’Extrême-Nord étaient inférieures à la moyenne 1990-2020. L’année suivante, la région a reçu plus de pluie que la moyenne. Données du Climate Hazards Group InfraRed Precipitation avec les données des stations du Climate Hazards Center.

A. Du bétail noyé et des affrontements en 2021

Le conflit entre les Arabes Choa et les Mousgoum illustre comment les changements climatiques peuvent contribuer à exacerber les tensions communautaires. Pendant la saison sèche, les pêcheurs Mousgoum du département du Logone-et-Chari creusent souvent de grands bassins dans les plaines inondables de la rivière Logone, un moyen peu coûteux mais laborieux pour piéger l’eau et les poissons.[1]Au fur et à mesure que les saisons sèches deviennent plus chaudes et plus sèches, ils creusent de plus en plus de bassins, avec un risque pour les vaches. En août 2021, la vache d’un éleveur Arabe Choa s’est noyée après être restée coincée dans l’un de ces bassins creusés par un Mousgoum.[2] Furieux, des Arabes Choa de l’arrondissement de Logone-Birni ont donné un ultimatum aux Mousgoum locaux pour qu’ils remplissent les bassins de terre afin d’empêcher d’autres bovins d’être piégés. Les Mousgoum ont refusé l’ultimatum et les Arabes Choa sont passés à l’attaque.

L’accrochage a rapidement dégénéré en une série d’attaques. La violence a gagné tout le département du Logone-et-Chari, y compris Kousseri, où le fleuve Logone constitue une frontière naturelle avec la capitale tchadienne, N’Djamena. Le département du Mayo-Danay, situé à proximité, a également été le théâtre de combats entre Arabes Choa et Mousgoum.[3] Les deux camps ont attaqué leurs villages respectifs en utilisant des couteaux, des arcs et des armes à feu artisanales.[4] Dans certains cas, ils ont également agressé sexuellement ou tué des femmes en guise de punition collective avant de mettre le feu aux maisons.[5]

Bien que les hommes aient perpétré les violences, les femmes ont parfois joué un rôle dans le conflit. Des habitants ont déclaré à Crisis Group que quelques femmes Mousgoum recueillaient des renseignements pendant les affrontements.[6] Certaines femmes ont déclaré à Crisis Group qu’elles essayaient de dissuader les hommes de se battre.[7] Plusieurs femmes ont fait traverser le fleuve Logone à des familles entières en pirogue pour les mettre en sécurité au Tchad, contribuant ainsi à l’évacuation d’environ 11 000 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants.[8]

Lorsque les violences du mois d’août se sont apaisées, les autorités locales ont imposé un couvre-feu général et interdit les rassemblements de plus de dix personnes. Mais les deux communautés planifiaient déjà leurs prochaines actions, tout en prenant des mesures pour protéger les plus vulnérables contre de futures attaques.[9] Les Mousgoum ont par exemple évacué d’autres groupes de femmes et d’enfants de l’autre côté du fleuve Logone pour qu’ils s’installent chez leurs proches au Tchad.[10] Les deux groupes ethniques ont également utilisé le fleuve pour faire passer en contrebande des armes et des munitions en provenance du Tchad, tandis que des hommes venus d’autres localités dans la région rejoignaient le département du Logone-et-Chari pour gonfler les rangs des combattants.[11] Les deux camps se sont de nouveau affrontés en septembre et en décembre. 


[1] Ces bassins sont connus localement sous le nom de « canaux de pêche ». 

[2] Entretiens de Crisis Group, personnel humanitaire, universitaires, journalistes, hommes et femmes déplacés, Maroua et Kousseri, août-octobre 2023. 

[3] Entretiens de Crisis Group, personnel universitaire et humanitaire, Maroua, août 2023.

[5] Entretiens de Crisis Group, femmes déplacées, Bogo et Kousseri, août et octobre 2023.

[6] Entretiens de Crisis Group, personnel universitaire et humanitaire, Maroua, août 2023.

[7] Entretiens de Crisis Group, membres de groupes de femmes, Kousseri, octobre 2023.

[8] Plusieurs femmes se sont noyées en essayant de traverser à la nage la rivière qui était sortie de son lit pendant les pluies du mois d’août. Entretiens de Crisis Group, femmes déplacées, Maroua, Bogo et Kousseri, août-octobre 2023. « Des affrontements intercommunautaires au Cameroun forcent 11 000 personnes à fuir au Tchad », communiqué de presse, UNHCR, 21 août 2021.

[9] Entretiens de Crisis Group, personnel de l’ONU et administrateur local, Kousseri, octobre 2023.

[10] Entretiens de Crisis Group, femmes Mousgoum, Kousseri, octobre 2023.

[11] En septembre 2021, les autorités de Maroua ont arrêté un Mousgoum qui avait quitté Yaoundé avec des armes pour rejoindre les combats. Les autorités camerounaises et tchadiennes ont intercepté plusieurs autres combattants potentiels avant qu’ils n’atteignent le département de Logone-et-Chari, mais un petit nombre d’entre eux ont réussi à s’enfuir. Entretiens de Crisis Group, administrateur local, universitaire et membre d’une association d’éleveurs, Maroua et Kousseri, août-octobre 2023.

Les autorités locales ont pris plusieurs mesures pour endiguer la violence. En décembre, les administrateurs ont interdit la circulation des bateaux sur la rivière. A Kousseri, les autorités ont mis en place un comité de crise de vingt membres comprenant des représentants des Arabes Choa et des Mousgoum – dix membres de chaque groupe – afin d’ouvrir le dialogue. Le comité a pourtant eu du mal à progresser, car de nouveaux combats ont éclaté en ville quelques jours seulement après une réunion de réconciliation organisée début décembre.[1]

Selon les autorités, une centaine de personnes ont trouvé la mort dans les affrontements intercommunautaires entre août et décembre 2021. Mais les habitants ont déclaré à Crisis Group que ce chiffre est probablement sous-estimé, compte tenu de l’ampleur des destructions et du temps qu’il a fallu aux forces de sécurité pour arriver à calmer les esprits. Des observateurs affirment en outre que des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants se sont noyés en essayant de traverser le fleuve Logone à la nage. Ces décès ne sont probablement pas inclus dans le bilan officiel.


[1] Les tensions étaient vives lors des réunions convoquées par le gouvernement, car les représentants locaux semblaient réticents à prendre des engagements sérieux. Nombre d’entre eux craignaient de ne pas obtenir le soutien de leurs communautés en colère s’ils acceptaient des concessions. Ils soupçonnaient également le gouvernement d’essayer simplement d’imposer la fin des hostilités sans tenir compte des griefs. Entretiens de Crisis Group, femmes militant pour la paix qui participaient à un atelier sur l’accès sécurisé à l’eau, Yaoundé, octobre 2023. Voir également « North Cameroon violence between farmers, herders kills 22; residents flee », Reuters, 9 décembre 2021.

Ce sont au total environ 100 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, qui ont fui les violences [du Logone-et-Chari], ce qui a généré des urgences humanitaires au Cameroun et au Tchad.

Ce sont au total environ 100 000 personnes, principalement des femmes et des enfants, qui ont fui les violences, ce qui a généré des urgences humanitaires au Cameroun et au Tchad. Les autorités de N’Djamena ont été les premières à tirer la sonnette d’alarme. En décembre 2021, le président Mahamat Déby Itno a déclaré que le Tchad avait accueilli près de 30 000 Camerounais.[1] L’afflux de réfugiés a incité Mahamat Déby à poster des gardes le long du fleuve Logone et à empêcher les Arabes Choa et les Mousgoum locaux à envoyer des armes au Cameroun.[2]

Yaoundé avait jusque-là gardé le silence, probablement parce que reconnaître des violences aurait pu nuire à l’image de paix et de stabilité que le gouvernement préfère donner à l’Extrême-Nord.[3] Des officiels régionaux ont visité le Logone-Birni quelques jours après la fin des affrontements, tandis que des forces de sécurité ont été déployées dans plus d’une centaine de villages de la région. Peu nombreuses et avançant sur un terrain inondé, ces troupes ont malgré tout réussi à disperser la plupart des combattants et à en arrêter des centaines, principalement des hommes.[4] Les forces de sécurité ont gardé les détenus à Kousseri, mais elles en ont envoyé une centaine à Maroua, la capitale régionale, vers la fin de l’année, afin d’éviter les évasions et les marches devant la prison lorsque les Arabes Choa et les Mousgoum sont descendus dans la rue. 

De nouvelles manifestations violentes ont éclaté à Kousseri en décembre 2021, les manifestants Mousgoum exigeant la libération des détenus, affirmant que les membres de leur groupe ethnique avaient été les principales cibles des rafles.[5] En janvier 2022, les troupes ont réprimé des manifestations de colère similaires à Kousseri, organisées par des Arabes Choa en soutien à un ancien maire de la région, Acheick Aboukresse, qui avait été arrêté.[6]

Les autorités ont autorisé les organisations humanitaires à mettre en place des camps pour quelque 15 000 personnes déplacées à Maroua et à Bogo, dans le département du Diamaré, à l’écart de la principale zone de conflit et sous la surveillance de comités de vigilance non armés (ces camps sont toujours en place aujourd’hui).[7] L’agence des Nations unies pour les réfugiés et des organisations non gouvernementales étrangères ont obtenu un financement d’urgence pour distribuer une aide alimentaire et d’autres outils, tels que des kits d’hygiène et d’assainissement, dans les camps de déplacés au Cameroun et au Tchad. Mais ces actions n’ont pas permis de couvrir la plupart des besoins.[8] Des rapports font état de jeunes filles Arabes Choa livrées à elles-mêmes dans les rues de Maroua, où elles sont exposées à la violence sexuelle et à la traite des êtres humains.[9] Les deux communautés soupçonnent les responsables des violences commises par l’autre groupe de bénéficier de l’impunité.[10]


[1] Mahamat Déby a utilisé les réseaux sociaux pour reprocher au monde extérieur de ne pas avoir réagi à la crise humanitaire en cours. Message posté sur X par le général Mahamat Déby Itno, @GmahamatIdi, 16h22, 8 décembre 2021.

[2] Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires du gouvernement et personnel de l’ONU, Kousseri, octobre 2023.

[3] Entretiens de Crisis Group, représentantes et représentants de la société civile, Maroua, août 2023 ; femme leaders, Yaoundé, octobre 2023.

[4] Les responsables locaux ont affirmé que le gouvernement avait envoyé moins de 300 soldats pour cette opération. Entretiens de Crisis Group, administrateur et personnel humanitaire, Maroua et Kousseri, août-octobre 2023.

[5] « North Cameroon violence between farmers, herders kills 22; residents flee », op. cit. La plupart des personnes détenues à Kousseri ont été condamnées à des peines de prison pour avoir pillé et vendu des biens volés dans des magasins. Les forces de sécurité ont arrêté quelques femmes en possession de marchandises que leurs maris avaient volées lors des combats de décembre 2021 à Kousseri. Les Mousgoum se sont plaints de partialité, affirmant que les autorités avaient principalement arrêté des hommes Mousgoum. Les responsables locaux n’ont pas démenti, affirmant que les Mousgoum avaient pillé les magasins des Arabes Choa pendant les manifestations, irrités par ce qu’ils considèrent comme leur monopole sur le commerce de la nourriture et des vêtements. Entretiens de Crisis Group, Kousseri, octobre 2023.

[6] Acheick Aboukresse est l’ancien maire de Makary dans le département du Logone-et-Chari. Il a été arrêté et transféré à Maroua, soupçonné d’être impliqué dans les affrontements de 2021. « Cameroun – Extrême-Nord : Les affrontements entre l’armée camerounaise et des Arabes Choas à Kousseri font un mort et un blessé », CamerounInfoNet, 12 janvier 2022.

[7] Des comités de vigilance issus des populations déplacées gardent les camps de Maroua et de Bogo. Ils signalent aux autorités toute escalade des tensions, ainsi que les mouvements d’autres groupes ethniques. Entretiens de Crisis Group, femmes et hommes déplacés et personnel d’ONG, Maroua et Bogo, août 2023.

[8] En février 2022, le Bureau du coordinateur des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) a lancé un appel d’urgence de 100 millions de dollars pour venir en aide à 100 000 personnes déplacées par le conflit entre Arabes Choa et Mousgoum et aux habitants des régions du Cameroun et du Tchad où elles se sont réfugiées.

[9] Entretiens de Crisis Group, employées et employés d’une ONG, Maroua, août 2023.

Les agences d’aide ont également mis beaucoup de temps à prendre en compte le conflit entre Arabes Choa et Mousgoum dans leurs programmes régionaux.[1] Ce n’est qu’en 2023 que le Fonds des Nations unies pour la consolidation de la paix a aidé le ministère camerounais de la justice et les autorités locales à mettre en place des comités villageois d’alerte et de concertation en réactivant la justice traditionnelle. L’objectif de ces comités est de surveiller les tensions au sein des communautés, de résoudre les conflits et de signaler les menaces de violence aux responsables administratifs et de sécurité.

En novembre 2023, ces comités ont permis d’éviter un nouveau cycle de violence en informant l’armée qu’il fallait qu’elle déploie des patrouilles dans des zones où les tensions couvaient.[2] Mais ils ne sont pas assez nombreux. A ce jour, des comités ont été mis en place dans seulement dix des quelque cent villages où se sont déroulés les combats de 2021, principalement dans l’arrondissement du Logone-Birni.[3] Les représentants de l’ONU ont insisté auprès des administrateurs locaux pour que des femmes participent à ces comités ; sur 167 membres dans les dix villages, seuls 23 sont des femmes.[4]


[1] Entretiens de Crisis Group, personnel humanitaire, Maroua et Kousseri, août-octobre 2023. Voir également « Le HCR ‘profondément’ préoccupé par la reprise des affrontements intercommunautaires dans l’Extrême-Nord », StopBlaBlaCam, 10 décembre 2021.

[2] Entretien téléphonique de Crisis Group avec une employée d’une organisation humanitaire à Maroua, février 2024. 

[3] Entretiens de Crisis Group, responsables humanitaires, Kousseri, octobre 2023.

B. Affrontements épisodiques et tensions en continu

Depuis 2022, un calme précaire ponctué de violences s’est installé dans le département de Logone-et-Chari. Les communautés Arabe Choa et Mousgoum se tiennent de plus en plus éloignées l’une de l’autre, et dès que la question de l’accès aux ressources ressurgit, la situation dégénère rapidement.

Les données montrent que douze des dix-huit conflits communautaires qui ont éclaté dans l’Extrême-Nord entre janvier 2022 et novembre 2023 étaient directement liés à l’eau, à la terre ou aux deux.[1] Le 16 septembre 2022, par exemple, suite à des semaines de querelles sur la question des pâturages et des terres agricoles, des agriculteurs Kirdi se sont opposés à des éleveurs Peul à Adakele, dans la ville de Mora (département Mayo-Sava), détruisant des éléments appartenant aux deux parties. Le 22 juillet 2023, des groupes chrétiens et musulmans se sont affrontés pour le contrôle des terres dans le village de Warba, ville de Tokombere, Mayo-Sava, faisant quatre morts et déplaçant environ 4 500 personnes.[2] Le 11 août 2023, des habitants de Doukouroye et de Silla à Kai Kai, une commune du département du Mayo-Danay, en sont venus aux mains au sujet de la propriété d’une ferme rizicole, faisant quatre morts.[3] Le 19 septembre 2023, des Arabes Choa de Malia et des Kanuri de Ndiguina se sont également violemment opposés pour le contrôle de terres agricoles à Waza.[4]


[1] Les forces de sécurité sont intervenues pour mettre fin à environ la moitié des conflits intercommunautaires signalés. Le nombre de morts dans ces affrontements varie de un à quatre, selon l’organisation Armed Conflict Location & Event Data Project (projet de données sur les lieux et les événements des conflits armés).

[2] Les affrontements ont opposé les chrétiens aux musulmans, mais le problème qui les divisait était d’ordre matériel : les deux parties soutenaient des proches qui avaient revendiqué la même parcelle de terre. Entretien de Crisis Group avec un membre de la société civile, Maroua, août 2023. Les 4 500 personnes déplacées ont été réparties dans quinze villes du Mayo-Sava.

[3] Les gendarmes ont été surpris par l’ampleur des combats. Certains habitants ont attribué les affrontements aux autorités traditionnelles et administratives locales, qui avaient pris des décisions contradictoires concernant le droit de propriété des terres. Entretiens de Crisis Group, journalistes et personnel d’ONG, y compris des femmes résidentes et des femmes déplacées, Maroua et Kousseri, août et octobre 2023.

[4] Les combats à Waza ont fait un mort et au moins douze blessés.

De nombreux habitants craignent qu’un nouveau cycle de violence n’attire des groupes ethniques qui jusque-là sont restés en marge du conflit entre Arabes Choa et Mousgoum.

De nombreux habitants craignent qu’un nouveau cycle de violence n’attire des groupes ethniques qui jusque-là sont restés en marge du conflit entre Arabes Choa et Mousgoum.[1] Certaines communautés se sentent plus proches des Mousgoum et d’autres des Arabes Choa. Les Kotoko, par exemple, sont essentiellement sédentaires, comme les Mousgoum, avec lesquels ils ont des liens sociaux et culturels, alors que les Peuls, qui sont généralement des éleveurs, ont plus d’affinités avec les Arabes Choa. Certains Peuls semi-nomades ont envisagé de soutenir les Arabes Choa lors du conflit de 2021, mais ont renoncé à les rejoindre car les villages où se déroulaient les combats étaient difficiles d’accès.[2] Le 6 octobre 2023, les Kotoko et les Arabes Choa se sont affrontés à Makary, dans le Logone-et-Chari. Après l’incident, des chefs Arabes Choa se seraient réunis dans la ville voisine de Goulfey pour organiser des représailles contre les Mousgoum et les Kotoko.[3] Le gouvernement a réussi à éviter une confrontation en envoyant des soldats dans cinq villes où les tensions intercommunautaires étaient particulièrement fortes.[4]

Les autorités surveillent la situation de très près, mais jusqu’à présent, elles n’ont pas fait grand-chose pour résoudre les problèmes sous-jacents, et la population vit toujours dans la terreur. Le gouvernement a encouragé la consolidation de la paix par des discussions entre les chefs traditionnels et religieux. Ces dialogues excluent généralement les femmes et les jeunes leaders, qu’ils aient ou non été victimes des affrontements, ainsi que les auteurs de violences.

Ces initiatives ont généralement échoué. Après la visite d’une délégation pour la paix composée de hauts représentants de la région en août 2021, les violences ont repris le mois suivant.[5] Les administrateurs locaux ont également annulé en mai 2023 une réunion pour la paix convoquée par le président de l’Assemblée nationale, originaire de l’Extrême-Nord, craignant qu’elle n’attise la colère de la population.[6] En juin 2023, plusieurs jeunes Mousgoum ont quitté un chantier dans le village d’Arkis, près de Kousseri, où un projet mené par l’Agence française de développement employait 150 jeunes, par crainte pour leur sécurité dans cette localité majoritairement Arabe Choa.[7]

Les efforts déployés par les chefs traditionnels et religieux pour encourager les personnes déplacées à rentrer chez elles sont également restés lettre morte.[8] Le nombre de personnes déplacées fluctue en fonction des tensions, et il est difficile d’obtenir des chiffres fiables, car les agences d’aide humanitaire ne sont pas en mesure de suivre les conflits intercommunautaires.

Néanmoins, de nombreuses personnes déplacées dans des villes comme Maroua et Kousseri ont déclaré à Crisis Group qu’il ne leur restait pas grand-chose dans leurs localités d’origine. Plusieurs Arabes Choa ont déclaré qu’ils ne s’étaient pas encore remis du traumatisme causé par la disparition de membres de leur famille, ainsi que par la perte de leurs terres et de leur bétail. D’autres personnes déplacées ont déclaré qu’elles craignaient de nouvelles violences dans leurs villes d’origine. D’autres encore voudraient d’abord clarifier la question de la propriété foncière avant d’envisager un retour.[9] Ceux qui sont rentrés restent désormais principalement avec leurs proches, alors qu’avant les affrontements, les interactions entre les deux communautés étaient plus nombreuses.[10] Il n’existe plus de vie citoyenne à proprement parler dans les villes les plus durement touchées.


[1] Entretiens de Crisis Group, membre d’une association d’éleveurs et personnel d’une ONG, Maroua, août 2023.

[3] Entretien de Crisis Group avec une femme employée d’une ONG, novembre 2023.

[4] Les soldats se sont rendus à Kousseri, Logone-Birni, Goulfey et Makary.

[5] « Mousgoum et Arab Choa ont fait la paix », Cameroon Tribune, 20 août 2021. 

[6] « Mousgoum-Arabe Choas : L’offre de Cavaye Yeguié rejetée par les deux communautés », Actu Cameroun, 2 juin 2023. Cavaye Yeguié est issu de l’ethnie Mada, dominante à Tokombere, dans le Mayo-Sava. Il est président de l’Assemblée nationale depuis 1992.

[7] « Microprojets de développement : Arabes Choa et Mousgoum se regardent en chien de faïence dans le Logone-et-Chari », StopBlaBlaCam, 19 juin 2023.

[8] Des dignitaires camerounais ont visité des camps de déplacés au Tchad, exhortant les gens à rentrer chez eux. Entretiens de Crisis Group, personnel humanitaire et administrateur local, Kousseri, octobre 2023.

[9] Entretiens de Crisis Group, personnes déplacées, Bogo et Kousseri, août-octobre 2023.

[10] Entretien de Crisis Group, responsable humanitaire, Kousseri, octobre 2023.

Les habitants de l’Extrême-Nord sont plus nombreux que ceux de toute autre région du Cameroun à vivre de l’agriculture, de la pêche ou de l’élevage, ce qui rend la région particulièrement vulnérable en cas de combats qui empêchent les populations d’accéder aux champs, aux cours d’eau et aux pâturages. L’insécurité alimentaire a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie du fait des attaques de Boko Haram et de ses groupuscules. Plus de 80 pour cent des 700 000 personnes déplacées dans l’Extrême-Nord en février 2023 ont fui en raison des violences jihadistes.[1] L’insurrection a ainsi aggravé les problèmes économiques déjà importants de la région.[2] L’Extrême-Nord endure également plus de sécheresse et d’inondations meurtrières que toutes les autres régions du pays.

Ces problèmes, combinés à d’autres problèmes liés au climat – précipitations imprévisibles et incertitude quant à la saison des semis – ont réduit l’accès à l’eau potable et diminué les réserves alimentaires.[3] Sur les 3,5 millions de personnes confrontées à une insécurité alimentaire aiguë au Cameroun en 2023, près de 1,6 million vivaient dans l’Extrême-Nord, soit une augmentation de 33 pour cent par rapport à 2022.[4] Tous ces facteurs font craindre que de nouveaux affrontements intercommunautaires n’aggravent la crise humanitaire. 


[1] « Matrice de Suivi des Déplacements, République Du Cameroun, (Extrême-Nord), round 27, August 2023 », Organisation Internationale pour les Migrations, octobre 2023. Le chiffre de 700 000 comprend 453 661 personnes déplacées à l’intérieur du pays, 198 940 rapatriés (vers leur ville d’origine ou un lieu dont ils avaient fui) et 49 165 réfugiés étrangers, mais pas les 76 000 Nigérians vivant dans le camp de Minawao. 

[2] Entre 2018 et 2022, le taux de mortalité maternelle au Cameroun est passé de 4 000 à 2 000 décès pour 100 000 femmes après une intervention du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) soutenant des milliers d’accouchements assistés dans les établissements de santé ainsi que l’accès aux services de santé reproductive dans les cinq régions les plus touchées, dont l’Extrême-Nord. Le programme a été souscrit par la Banque islamique de développement. « Annual Report 2022, Cameroon », UNFPA, 2022. Selon une étude réalisée en 2021, 70 pour cent des ménages de l’Extrême-Nord n’ont pas les moyens de se procurer un régime alimentaire nutritif, contre 48 pour cent dans l’ensemble du Cameroun. « Fill the Nutrient Gap, Cameroon », Programme alimentaire mondial, octobre 2021. 

[3] « Dwindling rains in northern Cameroon spark conflict and displacement », op. cit. « Climate change fuels clashes in Cameroon that force thousands to flee », UNHCR, 9 septembre 2021.

[4] Trois des six circonscriptions administratives les plus touchées par l’insécurité alimentaire aiguë au Cameroun se trouvent dans l’Extrême-Nord. Il s’agit du Logone-et-Chari, du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga. Rapport de OCHA, 2 octobre 2023.

A. La menace Boko Haram

Boko Haram a attaqué le Cameroun pour la première fois en mars 2014, mais le groupe avait envoyé des membres du groupe dans l’Extrême-Nord au moins trois ans auparavant.[1] La négligence historique de l’Etat central et les similitudes culturelles avec le nord-est du Nigéria, où l’insurrection jihadiste a vu le jour, ont rendu l’Extrême-Nord vulnérable à l’infiltration jihadiste. Cette insécurité s’est d’autant plus aggravée du fait de la présence de réseaux de contrebande dans la région, du banditisme sur les axes routiers et de criminalité en tout genre, en particulier dans les zones frontalières. Les insurgés ont également utilisé des bases au Tchad et au Niger pour recruter dans ces pays, en faisant appel aux relations ethniques, commerciales et religieuses, tout en exploitant les tensions intercommunautaires le long des frontières où ils opéraient.

La plupart des premières attaques de Boko Haram au Cameroun ont été de faible ampleur, mais souvent meurtrières, et ont visé des postes de contrôle et des patrouilles de l’armée, ainsi que des routes publiques, des écoles et des marchés. Le groupe a parfois utilisé des jeunes filles qu’il avait enlevées comme kamikazes. A partir de 2014, les quatre pays riverains du lac Tchad – le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad – ont envoyé des troupes dans les zones touchées, sous la bannière de la Force multinationale mixte.[2] Yaoundé a également envoyé des soldats supplémentaires dans l’Extrême-Nord, tandis que les autorités locales imposaient des couvre-feux et montaient des opérations d’infiltration pour appréhender les personnes soupçonnées d’appartenir à l’insurrection.

L’épicentre des violences de Boko Haram est toujours resté au Nigéria, mais le nombre de raids des groupes armés dans l’Extrême-Nord a beaucoup augmenté entre 2015 et 2017 avant de diminuer à la suite des mesures anti-insurrectionnelles et du changement de tactique du groupe. Globalement, les attaques de Boko Haram et, plus tard, de sa faction dissidente, l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest, ont poussé des milliers de personnes à fuir leur habitation dans l’Extrême-Nord, avec des effets majeurs sur l’éducation et les soins de santé dans la région.[3]

Aujourd’hui, les insurgés font des incursions dans l’Extrême-Nord principalement pour voler de la nourriture, des marchandises et d’autres produits de première nécessité. C’est notamment autour du lac Tchad que les incursions jihadistes ont rendu de nombreuses terres agricoles, zones de pêche et pâturages dangereux pour les habitants, les combattants menant des attaques éclair dans les départements du Mayo-Tsanaga, Logone-et-Chari et Mayo-Sava.[4]

L’attaque la plus sanglante à ce jour s’est produite en juin 2019, lorsque des militants ont tué vingt soldats et seize civils, pour la plupart des pêcheurs, sur l’île de Darak dans le Logone-et-Chari.[5] En 2023, les combattants ont utilisé toute une série de stratégies pour obtenir de la nourriture, de l’argent ou de l’eau, par exemple en extorquant des « taxes » aux communautés de pêcheurs, en volant du bétail et des céréales, ou en forçant les habitants à abandonner les points d’eau.[6] De nombreuses personnes se sont déplacées vers le sud du département, créant ainsi un facteur de stress supplémentaire pour les résidents en exacerbant la concurrence pour les terres et en aggravant l’insécurité alimentaire.[7]


[4] Entretien de Crisis Group, fonctionnaire local, Kousseri, octobre 2023.

[5] « Cameroon says military deployed after new militant attack kills at least a dozen », VOA, 3 août 2023.

[6] Le 3 août 2023, Boko Haram a de nouveau attaqué l’île de Darak, tuant au moins douze personnes, pour la plupart des pêcheurs. 

[7] Le Cameroun connaît une crise économique. Selon l’Institut national de la statistique, l’inflation s’est amplifiée pour atteindre 7,8 pour cent en septembre 2023, contre 6,3 pour cent en septembre 2022. La suppression des subventions sur les carburants en février a fait grimper les coûts de transport de près de 20 pour cent en mars. En outre, les mauvaises récoltes ont entraîné des réserves de sorgho, de riz et de maïs inférieures à la moyenne dans les départements du Logone-et-Chari, du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga. Voir « Dans les zones de conflit, les récoltes insuffisantes entraîneront un début précoce de la soudure », Famine Early Warning Systems Network, décembre 2023. 

Les observateurs craignent que la menace jihadiste, combinée aux tensions intercommunautaires qui couvent, ne rende les conflits plus meurtriers.

Les observateurs craignent que la menace jihadiste, combinée aux tensions intercommunautaires qui couvent, ne rende les conflits plus meurtriers. Boko Haram a déjà exploité à d’autres occasions les difficultés sociales et économiques pour recruter et acquérir une aide logistique locale.[1] Les frictions entre les Arabes Choa et les Mousgoum s’aggravent face à la pénurie de ressources ce qui pourrait rendre les jeunes hommes, en particulier, plus vulnérables au recrutement ou à la collaboration avec les groupes jihadistes, qui utilisent souvent leurs butins pour subvenir aux besoins de leurs recrues.[2]

Les armes sont également faciles à obtenir dans la région. Un fonctionnaire s’est inquiété du fait que des communautés ayant des revendications importantes pourraient se rapprocher des réseaux de contrebande d’armes, déjà utilisés par des groupes insurgés, si les tensions s’aggravent à nouveau.[3] D’autres craignent que les communautés ne décident de mettre en place des milices d’autodéfense plus importantes en intégrant d’autres groupes ethniques vivant au Cameroun, mais aussi de l’autre côté de la frontière, au Tchad et au Nigéria.[4]

En réponse aux attaques de Boko Haram, le président Paul Biya a annoncé un programme de reconstruction pour la région en décembre 2019. Le Programme Spécial de Reconstruction et de Développement de la Région de l’Extrême Nord a été conçu pour construire des réservoirs, des routes, des écoles et des cliniques. Le programme reconnaît les problèmes climatiques de la région, ainsi que la menace des insurgés, et il ambitionne d’y pallier en développant des moyens de subsistance et en renforçant la résilience de la région face aux événements climatiques extrêmes.[5] La démarche était louable, mais il ne s’est pas passé grand-chose pendant les trois années suivantes, au-delà de la sélection des administrateurs du programme par le gouvernement. En octobre 2023, Yaoundé semblait passer à l’étape suivante en déclarant qu’il prévoyait d’investir la somme colossale de 3 milliards de dollars dans la région sur une période de cinq ans.[6]

De nombreux Camerounais doutent que le gouvernement soit en mesure de mener à bien le programme. Pendant la visite des responsables du programme dans la région de l’Extrême-Nord fin 2023, les mauvaises routes, les inondations et l’insécurité ont empêché la délégation d’atteindre le département du Logone-et-Chari, la région la plus touchée par les conflits liés aux ressources. En outre, le budget ambitieux pourrait être une tentative voilée d’obtenir des voix avant l’élection présidentielle prévue pour 2025. Néanmoins, s’il est mis en œuvre comme prévu, le programme pourrait contribuer à stabiliser la région et à apporter un soulagement à ses habitants qui en ont bien besoin.[7]

B. Pénurie d’eau et inondations

L’accès à l’eau est un combat de tous les jours pour les habitants de l’Extrême-Nord. En effet, 44 pour cent des forages et 61 pour cent des puits du pays sont situés dans l’Extrême-Nord, ce qui illustre la pénurie de sources d’eau naturellement accessibles, malgré la proximité avec le lac Tchad.[1] En revanche, les habitants des régions méridionales du Cameroun tirent l’essentiel de leur eau des bassins versants remplis en permanence par des rivières et des sources. Un rapport récent des Nations unies qualifie le Cameroun de pays en « insécurité hydrique », en raison des mauvais résultats obtenus en matière de santé, d’assainissement et de disponibilité et de qualité globales de l’eau. Ce classement national pourrait être pire si la métrique d’évaluation ne prenait en compte que l’Extrême-Nord.[2]

Le lac Tchad, qui partage une longue frontière avec la région de l’Extrême-Nord, est devenu une source d’eau moins fiable. Il s’agit de l’un des plus grands lacs d’eau douce d’Afrique, alimenté par les fleuves Logone et Chari, mais sa superficie varie considérablement selon les saisons – et d’une année à l’autre. Les sécheresses récurrentes des années 1970 et 1980 ont considérablement réduit le volume d’eau du lac. Même s’il a beaucoup augmenté entre 2018 et 2022 - malgré un épisode de sécheresse en 2021, la récupération de l’eau est temporaire, car les variations des précipitations annuelles intensifient la concurrence pour l’obtention de l’eau entre les millions de personnes qui vivent dans le bassin du lac.[3]


[1] Le Cameroun obtient 47 points sur 100, soit sept points de plus que la catégorie « insécurité critique » dans laquelle se trouvent les pays voisins, le Tchad et le Niger. L’évaluation porte sur dix domaines : l’eau potable, l’assainissement, la santé, la qualité de l’eau, la disponibilité de l’eau, la valeur de l’eau, les systèmes de gouvernance de l’eau, la sécurité humaine, la sécurité économique et la stabilité des ressources en eau. « Global Water Security 2023 Assessment », UN University Institute for Water Environment and Health, avril 2023.

[2] « Cameroun, Eau », Fiches pays interactives, Programme des Nations unies pour l’environnement. 

[3] Le bassin du lac Tchad abrite environ 50 millions de personnes. B. Pham-Duc et al, « The Lake Chad Hydrology under Current Climate Change », Nature Journal, vol. 10, no 1 (2020).

Outre les sécheresses, l’Extrême-Nord souffre de plus en plus d’inondations. Les données indiquent que les inondations et les fortes pluies ont été responsables du mouvement de près de 20 pour cent des 700 000 personnes déplacées enregistrées en février 2023.[1] En 2022, par exemple, les inondations dans l’Extrême-Nord ont touché plus de 258 000 personnes, dans les départements du Logone-et-Chari, du Mayo-Tsanaga et du Mayo-Danay.[2]


[1] « Rapport du Suivi des Déplacements, République Du Cameroun, Région de l’Extrême-Nord, Round 26, 8-22 février 2023 », op. cit.

[2] Entretiens de Crisis Group, personnel d’une ONG et universitaire, Maroua, août 2023. Les inondations d’octobre-novembre 2022 ont déplacé plus de 70 000 personnes, détruit 48 000 hectares de terres agricoles, causé la perte de plus de 6 700 animaux domestiques, inondé plus de 2 600 latrines et 133 écoles, empêchant 40 000 élèves d’aller en classe. Les dix arrondissements du département du Logone-et-Chari ont été touchés. En novembre, le ministère de la santé publique a signalé une épidémie de choléra dans la région, avec 395 personnes contaminées et dix-sept décès. « Cameroun – Extrême-Nord : Note d’information sur les inondations n°3 (au 15 novembre 2022) », OCHA, 24 novembre 2022.

Les pays de la région ont fait des efforts pour atténuer les tensions liées à l’accès à l’eau. Le Cameroun, le Niger, le Nigéria et le Tchad ont mis en place la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) en 1964, à laquelle la République centrafricaine et la Libye ont adhéré respectivement en 1996 et 2008. Le rôle de la commission est de gérer le lac et ses eaux associées, de protéger les écosystèmes fragiles de la région et de promouvoir le développement.[1]L’une de ses interventions les plus importantes a été la mise en place d’un système d’alerte précoce des inondations dans le bassin du Logone, qui a couvert le Cameroun et le Tchad entre 2016 et 2020.[2] La commission a créé vingt stations hydrométriques et météorologiques pour renforcer la détection précoce des inondations, dans le cadre d’un projet pour lequel la Banque mondiale a financé une digue de 70 km de long sur le fleuve Logone et une autre de 27 km de long sur le barrage de Maga.[3] Ces stations ont été principalement installées dans les zones où l’entreprise publique camerounaise Semry développait des exploitations rizicoles.[4]

Selon les déclarations du propre personnel de la CBLT, le réseau de surveillance environnementale autour du lac Tchad est cependant sous-financé et mal géré.[5] La commission a mené à bien plusieurs projets au Cameroun, notamment la plantation d’arbres pour améliorer la qualité des sols dans l’Extrême-Nord, ainsi que la construction de quelques cliniques et écoles.[6] Mais son rôle dans la crise de l’eau de l’Extrême-Nord s’est en fait limité à exhorter le Cameroun et les autres Etats membres à surveiller la situation et à s’adapter à la variabilité du climat.[7]

Le Cameroun a également mis en place l’Observatoire national sur les changements climatiques en 2009 pour évaluer l’impact socio-économique et environnemental du changement climatique et proposer des mesures d’atténuation des risques. Son personnel scientifique effectue régulièrement des missions sur le terrain dans l’Extrême-Nord et publie des alertes saisonnières sur les profils hydriques et thermiques locaux, avec des prévisions à trois et six mois.[8]

En théorie, ce travail informe la planification environnementale et des ressources dans la région (ainsi que dans le reste du pays). Pourtant, dans la pratique, il n’a pas le poids nécessaire pour influencer les politiques gouvernementales, et les responsables de la planification économique et les administrateurs le consultent rarement.[9] En outre, l’observatoire et les départements gouvernementaux dont les portefeuilles sont directement liés à la gestion de l’eau, tels que la pêche et l’élevage, l’agriculture et le développement rural, sont rarement d’accord lorsqu’il s’agit du périmètre de leurs responsabilités.[10] Malgré l’important travail d’alerte précoce de l’observatoire, peu d’éléments indiquent que les administrateurs locaux intègrent bien ses conclusions dans leurs politiques.[11]


[1] « Ongoing Projects », Commission du bassin du lac Tchad, 23 juillet 2021.

[2] Le projet d’urgence de lutte contre les inondations dans l’Extrême-Nord a été financé par la Banque mondiale et a impliqué une collaboration avec le projet VIVA LOGONE (Développement et valorisation des investissements dans la vallée du Logone), créé par le gouvernement camerounais pour promouvoir la riziculture. « LCBC and Semry Renew Framework Partnership Agreement », CBLT, octobre 2023. En avril 2012, les Etats membres ont adopté la Charte de l’eau de la CBLT pour la gestion des eaux riveraines en tant que ressource internationale commune.

[3] « Gestion des inondations dans la région de l’Extrême-Nord au Cameroun : les riverains n’ont plus peur des pluies diluviennes depuis que la digue du Logone et le barrage de Maga ont été réhabilités », Banque mondiale, 10 novembre 2020.

[4] « LCBC and Semry Renew Framework Partnership Agreement », op. cit.

[5] Entretiens de Crisis Group, personnel humanitaire, Maroua, août 2023. « Better Governance of Underfunded, Poorly Managed Lake Chad Basin Key to Resolving Conflict, Suffering across Region, Speakers Tell Security Council », ONU, 8212th Meeting, SC/13259, 22 mars 2018. 

[6] « Extrême-Nord : 356,8 millions de FCFA pour le reboisement », Actu Cameroun, 3 septembre 2020.

[8] Entretiens de Crisis Group, experts climatiques et administrateur local lors d’ateliers sur l’accès sécurisé à l’eau tenus à Yaoundé et Kousseri, octobre 2023.

[10] Ibid. L’observatoire relève du ministère de l’environnement.

[11] Entretiens de Crisis Group, personnel de l’Observatoire national sur les changements climatiques, Yaoundé, octobre 2023.

C. Une gestion foncière opaque et le problème de la corruption

La mauvaise gestion des terres et de l’eau, associée à une corruption omniprésente, risque d’accélérer l’impact des pressions climatiques dans l’Extrême-Nord du Cameroun.[1] La gestion foncière est souvent opaque. Les administrateurs locaux et les chefs traditionnels ont le pouvoir d’attribuer les terres, mais il est souvent difficile de savoir qui a le dernier mot sur les ventes effectives.[2] Par conséquent, un terrain peut être attribué ou vendu à deux personnes différentes, voire plus, avant le démarrage du processus onéreux de délivrance d’un titre de propriété. La méfiance à l’égard des administrateurs fonciers est donc de mise.

Des experts ont également indiqué à Crisis Group que les lois et les pratiques régissant le régime foncier, l’eau et le bétail étaient obsolètes.[3] Le code de l’eau de 1998, par exemple, ne prévoit pas de réglementation pour l’utilisation par plusieurs parties de l’eau, ce qui confronte les autorités locales à une base juridique chancelante lorsqu’elles doivent trancher des litiges relatifs à l’eau.[4] Les cartes des corridors de pâturage devraient également être mises à jour de toute urgence pour tenir compte des changements démographiques et de la couverture végétale.[5]

La corruption à tous les niveaux du gouvernement aggrave le problème, tout comme les inégalités socio-économiques.[6] Les agriculteurs Mousgoum, par exemple, se considèrent comme les propriétaires légitimes des terres, et regardent la majorité des Arabes Choa comme de nouveaux arrivants n’ayant aucun droit juridique sur la région. Nombreux sont ceux qui pensent que les Arabes Choa ne cherchent qu’à gagner de l’argent.[7] Ces suppositions alimentent la croyance largement répandue parmi les Mousgoum selon laquelle les Arabes Choa soudoient les administrateurs pour acquérir des terres sur le territoire des Mousgoum et faire nommer leurs proches comme chefs traditionnels.[8] Pour leur part, les Arabes Choa affirment que les Mousgoum les excluent des plaines fertiles le long du fleuve Logone sans aucune justification, ce qui ne leur laisse d’autre choix que d’utiliser leur poids démographique et financier pour obtenir des terres dans la zone ou pour convaincre les fonctionnaires de trancher les litiges fonciers en leur faveur.[9]


[1] Bien que les conflits fonciers soient courants au Cameroun, ceux de l’Extrême-Nord impliquent un ensemble particulièrement diversifié de groupes sédentaires, nomades et semi-nomades qui se disputent le contrôle temporaire ou permanent des terres. Entretiens de Crisis Group, responsables de l’Observatoire national sur les changements climatiques, Yaoundé, août-octobre 2023 ; professeur d’université, Maroua, août-octobre 2023. 

[2] Entretiens de Crisis Group, femmes et hommes représentant la société civile, femmes déplacées, Maroua, Yaoundé et Kousseri, août-octobre 2023. 

[3] Entretiens de Crisis Group, membre d’une association d’éleveurs et personnel d’une fondation spécialisée sur la question de l’eau, Maroua et Yaoundé, août-octobre 2023.

[4] Entretiens de Crisis Group, responsables de la fondation spécialisée sur l’eau, Yaoundé, octobre 2023.

[5] Entretiens de Crisis Group, avocat, défenseur des droits humains et experte sur la question des ressources en eau, Yaoundé, octobre 2023.

[7] Entretiens de Crisis Group, universitaire, technicien agricole et administrateur, Maroua et Kousseri, août-octobre 2023. L’une des origines de ces idées est que les parents Arabes Choa de l’Extrême-Nord sont souvent réticents à envoyer leurs enfants à l’école, préférant qu’ils se lancent dans le commerce ou l’élevage pour aider à subvenir aux besoins de la famille.

[8] Entretiens de Crisis Group, expert en développement rural et agricole, Maroua, août 2023.

[9] Entretiens de Crisis Group, journalistes et personnel d’ONG, Maroua, août 2023 ; expert en développement rural et en agriculture, Maroua, août 2023 ; responsable d’ONG et militant pour l’environnement, Yaoundé, octobre 2023.

Les femmes des deux communautés sont confrontées à des obstacles supplémentaires pour obtenir et gérer des terres et des sources d’eau à cause des pratiques patriarcales. Les hommes Arabes Choa et Mousgoum voient d’un mauvais œil les femmes posséder des terres et les excluent des débats sur la gestion des terres et de l’eau, alors même que les décisions prises ont un impact direct sur leurs activités.[1] Les hommes possèdent généralement des terres agricoles et des points d’eau, tandis que les femmes irriguent les cultures et entretiennent les sources d’eau, telles que les canaux. Les femmes et les enfants vont également chercher de l’eau pour l’usage domestique, conformément à la coutume dans tout le Cameroun. Dans certaines régions de l’Extrême-Nord, les femmes et les enfants marchent 8 km jusqu’au point d’eau le plus proche, quittant souvent la maison au milieu de la nuit afin de revenir à temps pour préparer le repas.[2]

Cette division des tâches contribue probablement au faible taux d’alphabétisation dans la région, en particulier chez les filles.[3] Les femmes restent exclues des comités de gestion de l’eau et sont rarement consultées en cas de litige.[4]


[1] Entretiens de Crisis Group, groupe de femmes, Kousseri, octobre 2023.

[2] Entretien de Crisis Group, femme leaders dans la société civile, Maroua, août 2023.

[3] Entretien de Crisis Group, femme leader dans la société civile, Maroua et Yaoundé, août-octobre 2023.

La réponse du Cameroun aux conflits intercommunautaires dans l’Extrême-Nord a jusqu’à présent été essentiellement une solution de fortune. Les forces de sécurité ont contribué à prévenir les violences à grande échelle et à apaiser les tensions dans l’Extrême-Nord. Les autorités ont mobilisé les élites locales pour mettre en place des initiatives de dialogue et ont permis aux organisations humanitaires de fournir de la nourriture et des abris temporaires aux populations locales. Ces mesures, méritoires et parfois efficaces, ont principalement permis d’éviter l’escalade des dissentions entre Arabes Choa et Mousgoum, mais elles ne se sont pas attaquées aux chocs climatiques sous-jacents ou aux tensions latentes entre d’autres groupes ethniques de l’Extrême-Nord.[1]

Le maintien d’un grand nombre de soldats dans la région n’est pas une solution à long terme, étant donné que l’armée est déjà mise à rude épreuve par les combats qu’elle mène dans d’autres régions.[2] L’Extrême-Nord reste cruellement sous-développé, tandis que le changement climatique menace de rendre les terres arables, les pâturages et l’eau encore plus rares sur le long terme. Les autorités camerounaises devraient élaborer des politiques qui s’attaquent aux facteurs clés des conflits intercommunautaires, en préparant la région à résister aux phénomènes météorologiques extrêmes. 


[1] Entretiens de Crisis Group, universitaires et personnel d’ONG, Maroua, août 2023. Certaines de ces propositions politiques ont été soulevées lors d’ateliers sur l’accès sécurisé à l’eau, organisés en ligne et en personne, avec des experts à Yaoundé et des femmes des communautés touchées par les inondations et les conflits à Kousseri.

A. Prévenir la violence et aider les groupes vulnérables

Les autorités camerounaises devraient s’appuyer sur les mesures de prévention des conflits déjà en place pour éviter de nouvelles violences intercommunautaires dans l’Extrême-Nord. La colère générée par le conflit de 2021 est toujours palpable dans le département du Logone-et-Chari, ce qui renforce le risque de nouveaux affrontements entre Arabes Choa et Mousgoum, ou entre d’autres groupes ethniques. Les autorités locales devraient mettre en place de toute urgence des comités d’alerte précoce supplémentaires dans tous les villages concernés autour du Logone-Birni. Ces comités, qui devraient inclure des femmes et des jeunes, pourraient aider à gérer les tensions ethniques, à arbitrer les conflits mineurs et à signaler les menaces principales aux administrateurs locaux, aux forces de sécurité et aux autorités judiciaires.[1]

Pour surmonter les difficultés rencontrées lors d’autres processus de paix, les autorités devraient veiller à ce que les membres des comités soient représentatifs de toutes les parties au conflit, qu’ils soient formés à la résolution des conflits et qu’ils échangent régulièrement sur les meilleures pratiques à tenir. Les partenaires internationaux du Cameroun, tels que les Nations unies et l’Agence française de développement, qui disposent déjà de vastes programmes dans la région, pourraient contribuer à la mise en place de ce réseau et au financement de la formation. 


[1] Entretien de Crisis Group, militante pour la paix dans l’Extrême-Nord, Yaoundé, octobre 2023. 

Les mesures de prévention devraient également porter sur les facteurs de changement climatique qui contribuent aux frictions intercommunautaires. L’Observatoire camerounais sur les changements climatiques devrait mettre en place un système d’alerte pour surveiller les problèmes importants liés au climat, en collaboration avec les administrateurs régionaux et sous-régionaux, ainsi qu’avec les ministères concernés.[1] Ce système pourrait inclure des prévisions mensuelles conjointes pour les précipitations, les températures et les réserves en eau, en évaluant leur impact probable sur les activités agricoles, de pêche et pastorales ainsi que sur les réserves alimentaires.

Il est essentiel que le gouvernement fasse pression sur les ministères concernés pour qu’ils intègrent les recommandations de l’observatoire dans leur travail, notamment lors de l’élaboration du programme spécial de reconstruction de la région. Au niveau local, le suivi effectué par l’observatoire pourrait fournir aux administrateurs des données utiles et aiderait également les responsables des six départements administratifs de l’Extrême-Nord à choisir des mesures appropriées de prévention des conflits, telles que du conseil technique pour les agriculteurs, les pêcheurs et les éleveurs, une assistance alimentaire pour les plus vulnérables et des patrouilles ciblées organisées par les forces de sécurité. 

En outre, avec le soutien des partenaires internationaux, le gouvernement devrait continuer à fournir de l’aide humanitaire et à plaider en faveur d’un soutien financier accru pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes touchées par le conflit. Le gouvernement devrait se concentrer sur l’amélioration des conditions de sécurité et des infrastructures sociales dans les zones abandonnées, tout en laissant les personnes déplacées décider si les conditions sont réunies pour pouvoir retourner en toute sécurité. Les administrateurs locaux devraient collaborer pour offrir des conditions de vie dignes aux personnes déplacées, même à titre temporaire. Le gouvernement, avec le soutien de ses partenaires internationaux, devrait également commencer à préparer le retour progressif et la réinstallation des personnes déplacées à mesure que la sécurité et les conditions économiques s’améliorent.


[1] En particulier, le ministère de l’agriculture et du développement rural, le ministère de l’eau et de l’énergie et le ministère de l’élevage, de la pêche et des industries animales.

B. Améliorer la résilience par une meilleure gouvernance, des responsabilités claires et la reconstruction

Alors que la menace de violence immédiate s’estompe, les autorités devraient en profiter pour apaiser les tensions latentes en réduisant l’impact négatif de la mauvaise gouvernance sur les moyens de subsistance déjà précaires des habitants de l’Extrême-Nord.

L’approche du gouvernement en matière de gestion des ressources devrait d’abord être plus inclusive. Compte tenu des responsabilités concurrentes entre les administrateurs locaux et les chefs traditionnels portant sur les compétences d’allocation des terres et des points d’accès à l’eau, le gouvernement camerounais devrait favoriser l’implication d’un plus grand nombre de représentants locaux dans les consultations conjointes sur la gestion des ressources locales. Les conseils municipaux devraient s’assurer que les membres des comités de gestion de l’eau déjà en place représentent équitablement les groupes ethniques de leur région, ainsi que les femmes et les jeunes. Ces comités devraient superviser la construction et la gestion des points d’eau par le conseil municipal.

Les bailleurs de fonds internationaux et les ONG qui envisagent d’apporter une aide au développement aux conseils municipaux de ces régions devraient former les fonctionnaires locaux et les chefs traditionnels à des approches inclusives et participatives au développement, ce qui contribuerait à rétablir la confiance. Avec le soutien de la communauté internationale, Yaoundé pourrait également proposer aux fonctionnaires affectés dans la région une formation préalable au déploiement, qui devrait mettre l’accent sur les liens entre les ressources prenant en compte les questions climatiques, de gouvernance et les tensions ethniques.

Le gouvernement devrait combler de toute urgence les lacunes réglementaires qui existent dans les lois et les pratiques régissant le régime foncier.

Deuxièmement, le gouvernement devrait combler de toute urgence les lacunes réglementaires qui existent dans les lois et les pratiques régissant le régime foncier. Il devrait, pour ce faire, accélérer l’adoption d’un code de l’eau révisé qui précise quelles sont les utilisations prioritaires de l’eau en cas de revendications concurrentes. Les autorités nationales et régionales devraient, en parallèle, délimiter des couloirs de pâturage dans le cadre du processus de clarification de la propriété foncière privée et publique. Ces mesures pourraient s’avérer n’être qu’une goutte d’eau dans l’océan, étant donné le système complexe et chaotique de la propriété foncière au Cameroun. Mais si elles s’accompagnaient d’une action juridique faisant preuve d’une tolérance zéro à l’égard de la corruption des fonctionnaires locaux, elles pourraient contribuer à restaurer la confiance du public dans l’Etat.

Troisièmement, Yaoundé devrait prendre des mesures pour que les auteurs de violences rendent des comptes et pour redonner confiance envers les fonctionnaires nationaux et locaux. Le gouvernement pourrait, par exemple, soutenir l’Extrême-Nord en lui fournissant le financement et le personnel nécessaires pour mener des enquêtes approfondies sur les violences passées et présentes, ainsi que pour garantir des procès équitables aux auteurs présumés, qui ont souvent fait l’objet d’une longue période de détention préventive. 

En rendant la justice rapidement et de manière impartiale, les autorités pourraient décourager ceux qui, autrement, continueraient à recourir à la violence organisée selon des critères ethniques. Dans les affaires civiles, les autorités judiciaires pourraient également s’appuyer sur les tribunaux traditionnels pour rechercher un accord à l’amiable entre les parties, et ne renvoyer l’affaire en justice que lorsque la médiation est impossible. Les autorités centrales devraient, en parallèle, insister sur le risque de sanction administrative pour les fonctionnaires d’Etat qui ont contribué aux tensions communautaires par leur partialité dans l’attribution des terres, à moins qu’ils ne choisissent de collaborer avec les autorités judiciaires et les communautés concernées pour clarifier rapidement les droits de propriété du foncier litigieux. 

Il est pourtant peu probable que rétablir les droits des personnes suffise à mettre fin aux combats. Les tribunaux d’Etat qui statuent sur des affaires qui ont conduit à de la violence ou à de la spoliation de biens devraient procéder à une évaluation approfondie des dommages et des pertes subis par les victimes dans les affaires qu’ils traitent. Le gouvernement, quant à lui, devrait mettre en place un fonds pour les victimes afin de fournir des compensations individuelles ou communautaires qui permettraient aux personnes de reprendre leurs activités génératrices de revenus ou d’en démarrer de nouvelles. 

Ce processus devrait impliquer des consultations avec les représentants de la communauté affectée pour garantir plus de transparence et éviter d’attiser les tensions, mais aussi pour renforcer la confiance dans la capacité de l’Etat à servir ses citoyens. Cette forme de compensation pourrait contribuer à compléter et peut-être même à remplacer l’aide humanitaire. Ces initiatives devraient prendre en compte les pertes spécifiques aux femmes, telles que leurs outils agricoles et de transformation du poisson, ainsi que leurs marchandises.

Le gouvernement dispose déjà d’un outil de stabilisation d’une importance vitale, le programme spécial de reconstruction de l’Extrême-Nord.

Le gouvernement dispose déjà d’un outil de stabilisation d’une importance vitale, le programme spécial de reconstruction de l’Extrême-Nord. Ce programme, dont les détails sont en cours de règlement à Yaoundé, pourrait à la fois canaliser des fonds supplémentaires vers cette région sous-financée et veiller à transférer à ses habitants des ressources suffisantes pour coexister pacifiquement (même si le mandat initial du projet se concentrait sur la réparation des dommages causés par la violence jihadiste).[1] Crisis Group plaide pour un engagement renforcé du gouvernement dans l’Extrême-Nord depuis 2017, en exposant la logique et les lignes directrices d’un programme de reconstruction pour la région.[2]

Lorsque le cabinet du Premier ministre travaillera à la conception du programme, il devrait inclure des projets spécifiques visant à remédier à la pénurie d’eau dans la région. Le gouvernement pourrait, par exemple, délimiter clairement les pâturages, réaliser des forages sur les terres réservées à cet usage et élaborer des règles pour le creusement de bassins dans les plaines inondables du fleuve Logone. Les autorités devraient impliquer les experts de l’observatoire sur les changements climatiques dans l’élaboration du programme spécial de reconstruction de la région. Compte tenu des difficultés d’accès dues à l’insécurité et au mauvais état des routes, le gouvernement devrait tout mettre en œuvre pour garantir l’acheminement équitable de l’aide au développement dans le département du Logone-et-Chari, y compris en faisant transiter l’aide par le Tchad. Le gouvernement devrait également veiller à ce que le comité de mise en œuvre du programme, composé de représentants des ministères, comprenne des femmes et intègre une dimension de genre dans ses activités.

Dans le cadre de l’engagement mondial à lutter contre le changement climatique, les partenaires internationaux du Cameroun et les agences des Nations unies, en particulier les programmes de développement et portant sur l’environnement, devraient accompagner le Cameroun pour qu’il améliore sa stratégie d’adaptation au climat. Yaoundé s’est concentré sur l’atténuation des effets du changement climatique et sur les énergies vertes. L’Extrême-Nord pourrait permettre de tester toute une série de réponses intégrant les risques de conflit et la question de la résilience climatique, y compris dans la gestion des inondations, la régulation des canaux de pêche et l’innovation agricole. 

Soutenues par leurs partenaires étrangers et en collaboration avec la CBLT, les autorités camerounaises devraient définir leurs priorités en matière d’adaptation, établir des domaines de coopération régionale et faire pression pour obtenir des financements lors des négociations internationales sur le climat. Préparer cette région aux futurs chocs climatiques pourrait contribuer à réduire la concurrence pour les terres et l’eau, ce qui permettrait d’éviter ainsi de nouveaux conflits dans une région déjà largement perturbée. 


[1] Le gouvernement estime que le programme coûtera trois milliards de dollars, mais il n’a pas identifié de sources de financement ni de calendrier pour les travaux. « Extrême-Nord : 1810 milliards de FCFA pour reconstruire la région », Actu Cameroun, 16 novembre 2022. 

L’Extrême-Nord du Cameroun est en proie à des tensions exacerbées par le changement climatique, qui provoquent des conflits liés à l’eau, l’accès aux terres pour l’agriculture et l’élevage et les zones fluviales pour la pêche. Ces tensions communautaires pour l’accès aux ressources ont engendré des luttes violentes dans une région déjà marquée par les insurrections jihadistes venues du Nigéria. Le conflit entre Arabes Choa et Mousgoum ainsi que la menace d’autres flambées de violence intercommunautaire soulignent la nécessité d’une réponse multiforme qui aborde les tensions entre les groupes ethniques de manière équitable et efficace, tout en s’attaquant aux changements liés au climat qui renforcent les griefs et les ressentiments locaux.

Les autorités nationales ont déjà élaboré des plans d’investissement ambitieux pour le nord du pays, mais ceux-ci doivent être mis en œuvre et développés. Les bailleurs de fonds étrangers devraient être prêts à soutenir les efforts du Cameroun pour renforcer une meilleure gestion des ressources, les mécanismes de recours en justice et de résolution des conflits, ainsi que les plans d’adaptation au changement climatique et d’élargissement de l’accès à la terre et à l’eau. La détérioration de la sécurité alimentaire dans l’Extrême-Nord et la crise humanitaire provoquée par les combats et les déplacements forcés rend la nécessité d’agir d’autant plus pressante. Le gouvernement et ses partenaires internationaux devraient intervenir maintenant pour s’attaquer aux racines de l’accroissement des tensions communautaires et empêcher une nouvelle vague de violence.

Yaoundé/Bruxelles, 25 avril 2024

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